Les luddistes hackers1
Ceci est une traduction française de l’article anonyme n°1 de la section n°4, bruit de fond, de l’issue n°69 du magazine électronique Phrack paru le 6 mai 2016.
J’ai choisi de traduire ce texte car il est bien écrit (surtout la première partie) et sert bien son propos.
J’ai beaucoup appris en le traduisant, c’était pas facile. Mais j’y ai pris beaucoup de plaisir et je vous souhaite une bonne lecture.
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A l’Ouest, l’esclavagisme est un passé lointain. L’Homme a la liberté de corps et d’esprit. L’idée même que la technologie puisse l’asservir est absurde.
La technologie contemporaine n’incite pas toujours à cette liberté de corps et d’esprit. Le matériel et les logiciels sont de plus en plus conçus en jardin clos par un petit club fermé de technocrates. Les concepteurs se cramponnent à leurs systèmes en définissant une liste stricte d’actions autorisées et donc pensables sur leurs systèmes. Ils limitent par là un potentiel créateur, des découvertes, et ne pensent qu’en terme d’augmentation du profit. Ce profit est gonflé par le contrôle, car le contrôle limite le piratage, stoppe la propagation de logiciels malveillants, simplifie l’expérience utilisateur pour une majorité de consommateurs, et génère du revenu via des micro-décisions appliquées logiciellement limitant la pleine capacité des systèmes matériels et logiciels qui sont vendus.
Seuls les maîtres du jardin, les concepteurs, sont admis dans l’enceinte où il sont libres de créer et ont conscience du plan mis en oeuvre. Personne d’autre n’est autorisé à pénétrer. Dehors, pour ceux qui ne sont pas dans le cercle des créateurs originels, on ne peut pas créer sans que permission eût été déléguée. Les consommateurs et les développeurs tiers sont trop bas dans le système de caste pour que leur soit accordé le droit de disposer à leur gré de leurs propres biens.
Les créateurs à l’extérieur de l’enceinte n’ont pas d’autres choix que de compter sur de dévoués et brillants esprits pour passer outre les souhaits des concepteurs. Ces esprits brillants atteignent un niveau de connaissances2 sur les contraintes du système, incomprises par les concepteurs eux mêmes, et retransmettent cela aux foules. En chemin se greffent les vauriens, les voleurs et les pirates.
Dans une logique de marché libre, si une quelconque invention devient vitale, alors des systèmes inventifs émergeront pour pourvoir ce besoin sur le long terme. Sur le court terme, permettre aux basses castes de s’exprimer et d’intégrer leurs idées a été démontré plus que suffisant pour une croissance soutenue et exponentielle vers une domination du marché.
Luddiste hacker : (oxymore) Une personne opposée à toute technologie limitant artificiellement l’humain dans ses connaissances2, son raisonnement, ou sa créativité avec ladite technologie.
Les luddistes hacker détestent les technologies en jardin
clos. Pourquoi une personne possédant un objet technologique,
ne serait-elle pas autorisée à essayer de modifier ou d’adapter
cette technologie à l’usage qu’elle désire, n’importe quand?
Le seul frein devrait être les connaissances2
nécessaires à effectuer les modifications, et certainement
pas des restrictions artificielles émanant des concepteurs
de la technologie.
Comme Kant qui fonda le postulat de l’impératif
catégorique3 sur la raison,
les luddistes hackers voient la raison comme étant une capacité
humaine fondamentale. Quand une technologie
informatique, qui a été achetée et est entièrement et
physiquement en la possession de son propriétaire, empêche
arbitrairement sa modification et l’invention, elle réduit
considérablement l’aptitude à raisonner sur l’univers avec
cette technologie. Cette technologie empêche les gens de
transcender les idées de son concepteur et d’embrasser pleinement
certains de leurs traits humains fondamentaux. A la
place elle relègue le consommateur à un subordonné dont la
conscience est restreinte, dont la raison est restreinte et
dont la créativité est restreinte.
Point suivant, la technologie informatique qui s’applique à tirer excessivement profit de l’attention4 humaine.
Pour les luddistes hackers, une autre catégorie infâme sont les système informatiques à échelle mondiale qui ont été construits pour tirer profit de l’attention humaine.
Plutôt que des bénéfices provenant des avancés de l’humanité, les bénéfices proviennent principalement de la capacité à détourner l’attention humaine vers ces systèmes technologiques. Le système peut générer des profit au travers de la publicité, mais ça peut aussi être un jeu vidéo que le consommateur paye.
Il est entendu que des ressources sont nécessaires pour faire fonctionner une technologie et qu’un échange d’information et de ressource est attendu entre le consommateur et le créateur de cette technologie. La publicité peut être utile pour montrer un produit qu’un consommateur voudrait, les jeux vidéos et les sites d’échange d’informations peuvent être vraiment plaisants pour beaucoup de monde et peuvent donc générer un profit. Mais c’est lorsque les méthodes et les moyens deviennent excéssifs que les luddistes hackers ne sont plus d’accord.
Quand les technologies, qu’elles soient à caractère publicitaires ou vidéo-ludiques, exploitent la psychologie et la physiologie humaine pour tirer profit de leurs consommateurs, elles limitent bien souvent significativement la conscience, la raison ou la créativité du consommateur.
L’autre soucis, c’est quand la publicité, au lieu de montrer ce que les gens veulent, manipule subconsciemment les désirs des gens (comme le sexe, la popularité ou le pouvoir) pour surpasser leur conscience et leur capacité de raisonnement afin qu’ils convoitent et achètent des produits en dépit de la capacité de ces produits à combler leurs désirs.
Et si les technologies, au lieu de fournir une opportunité à se relaxer, se divertir, ou partager de l’information, ou n’importe quoi d’autre, étaient un moyen de contrôle psychologique où la neurophysique attire incessemment l’attention vers la technologie pour recevoir des doses addictives de dopamine ou de sérotonine ou je ne sais quoi encore, en utilisant les procédés les plus obscures de la gamification5. Ou peut-être qu’un mécanisme inné de survie lié à la dynamique de groupe est exploité par la technologie, comme par exemple la génération de publicités, messages, symboles promus par des membres d’un groupe. Ou encore la création de systèmes de ressources virtuelles où les pulsions de compétition ou de collaboration dictent le comportement.
Il est possible que ces technologies qui captivent tant l’attention humaine ne soient simplement que ce que les consommateurs attendent de leurs technologies. Après tout 30% du traffic internet généré par les humains est de la pornographie6. Si la distraction de l’attention et la subordination de la raison, de la créativité et de la conscience est un choix de la majorité des gens, alors les luddistes hackers sont en désaccord profond avec la majorité des gens, et s’opposent définitivement aux concepteurs qui les subordonnent.
Quelles défenses a l’homme moderne qui veut se prémunir des j’aime, tweets, cliques, […]7, cases à cocher, onglets, porno et de cette infinité de mécanismes de moisson à dopamine et sérotonine ? Ces systèmes ont été construits parfois pour récolter des profits, parfois pour contrôler la communication, parfois pour rien du tout … en échange d’un peu de temps, de l’attention, des pensées et des informations des utilisateurs…
Ne les achetez pas, et ne les utilisez pas.
Si vous les utilisez, faites le avec grande modération et consciemment, à des moments choisis.
Informez les autres, et présentez des technologies existantes ou émergeantes qui puissent limiter le potentiel humain.
Dégradez la qualité et la valeur de votre attention donnée à ces technologies qui en tirent profit en :
- partageant un compte entre plusieurs utilisateurs
- écrivant des interfaces utilisateur d’interface utilisateur
- corrompant votre activité d’utilisateur en injectant subtilement des comportements auto générés durant l’utilisation
Aussi, réduisez la qualité des informations que vous donnez en mentant :
- pas de vrai nom quand ce n’est pas nécessaire
- remplir les formulaire comme dans le jeu Mad Libs8
-
NDT. Le luddisme est un conflit social anglais, ayant opposé les artisans tondeurs et tricoteurs sur métiers à bras aux industriels du XIXème siècle optant pour la mécanisation. Les luddites sont qualifiés de briseurs de machines. Cette révolte fait écho à celle des canuts Lyonnais. Voir l’article Wikipedia. ↩
-
NDT. consciousness dans le texte, qui est d’habitude traduit par conscience, mais c’était un peu louche. ↩ ↩2 ↩3
-
NDT. action à priori nécessaire et inconditionnelle (voir Kant) ↩
-
l’attention ici est le concept philosophique, la force de la sensation : conception sensualiste ↩
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NDT. en français gamification se traduit ludification mais c’est tellement peu usité que je préfère l’anglicisme. ↩
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http://www.extremetech.com/computing/123929-just-how-big-are-porn-sites ↩
-
partie omise : and slide to unlocks ↩
-
un jeu de société où il faut compléter une histoire à trou ↩